vendredi 19 avril 2013

Accord Débranche

Prise - Avant-dernière entrée -
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grandes images)- avril 2013
Et voilà. La remarque bien sentie de l'un de nos nombreux lecteurs-commentateurs vient de me plonger dans un abîme de perplexité, tapissé à la truelle de pleurnichards doutes existentiels et de mélasse bien fraîche. Pauvre petite chose, vous dites-vous avec lucidité et nette propension à la raillerie - ce en quoi n'avez pas tort.

De fait, s'agira-t-il, ici comme dans le Machin-imprimé (TM), de devoir encore endurer, vous comme moi, les geignardes stridulations d'un gosse de riche, cigale nostalgique du temps où elle s'encanaillait jeune homme - cernée de camés, flicaille, taulards, travelos et putes dans le meilleur des cas -, l'appart à papa et les diplômes en poche en guise de confortable matelas au-cas-où-ça-tournerait-mal

Vous voyez d'ici le truc, on en tapisse, sous cette forme ou une autre, les étals des libraires depuis des lustres: "ouin, ouin ! J'ai essayé de dépasser mon déterminisme de classe par le bas, et je m'a cassé le nez. Ca fait bobo" - ou encore, dans sa version ultime, mieux assumée, plus infecte encore : "Oui, je suis né avec une cuillère d'argent dans la bouche, mon frère, mais tu sais, dans nos milieux aussi, on en chie parfois (papa est parti, maman picole, notre chauffeur nous méprise, j'ai eu que 16 en maths.) D'ailleurs, tu sais ce qu'est l'équivalent du saturnisme, quand en guise de plomb c'est à l'argent qu'on t'expose ? Ca s'appelle l'Argyrisme, voilà - à force de téter du souverain, j'en ai l'âme et la peau toute grise."

Mon dieu, à ce titre, ce que je vais vous confesser maintenant ne va pas vraiment vous rassurer, pour sûr : pourquoi donc, sans être non plus fils de Crésus mais d'un de ses trésoriers disons, suis-je allé me fourvoyer au début de notre siècle en gargotes bateleuses et/ou pissotières à ciel ouvert ? Pourquoi n'ai-je pas refusé à l'époque, tous les week-ends que Bacchus faisait, d'aller nettoyer au balai-rasta les gogues les plus infects de la place de Paris - je vous passe les détails, mais fêtards en goguette et clodos en galère n'ont plus grand chose de différent à partir d'une certaine heure -, prenant même parfois cette mission pour ce qu'elle pourra désormais paraître à vos yeux : un stage ouvrier bénéfique à la jeunesse sinon dorée, au moins plaquée or ? 

Pourquoi ? Simplement parce que, si consommer de l'alcool en troquet a commencé à m'apparaître franchement tentant dès l'âge de 14 ans, irrésistiblement parfait dès peu avant ma majorité, presque constitutif de mon identité ensuite, cette époque a correspondu pile poil avec la fin du service militaire tel que pensé pour nos ancêtres - l'un des seuls moments, avec la maternelle peut-être, où il était possible, programmé, inévitable sauf passe-droit, de fréquenter des gens, des classes, des parcours que nous n'aurions plus jamais l'occasion de croiser à l'avenir, chacun dans sa file, sauf au prix d'efforts la plupart du temps incompris par l'ensemble des parties en présence.

Or, en l'an 2000 ou 1999, comme aujourd'hui encore à condition de choisir quand même un peu proprement  ses lieux d'alcoolisation, les lieux, les postes d'où il demeurait encore possible de frayer avec tout et n'importe quoi, le temps d'un café ou d'une longue nuit d'errances, n'étaient pas légions. Le bar, bien sûr - le bon rade, je veux dire - et, mieux encore, le poste de grouillot en zinc - serveur, barman, garçon de salle -, qui présentait et présente encore je l'espère le considérable avantage d'imposer au public une image toute faite, une condition de facto sur laquelle il n'est pas forcé de gloser trois heures pour bien se comprendre. Tu veux boire, je te sers. Tu penses que je suis sans doute un comédien en rade, un carriériste de la limonade, un pochtron insolvable décidé à payer sa dette, un minot persuadé - l'imbécile - qu'il pourra mieux serrer costumé en livrée : grand bien t'en fasse. Quoi qu'il en soit, tu veux boire, je te sers. Qui que je sois au fond, qui que tu sois en surface.

Voilà pour la démarche initiale. Stage ouvrier, donc, un peu oui. Fascination pour le lieu, certes aussi, et de manière plus intense encore. Souhait affirmé de disparaître - comme dans n'importe quel métier, au demeurant, présentant costume au monde - derrière ce qu'on pouvait s'imaginer de moi, plutôt que de tenter de me battre pied à pied pour persuader mes interlocuteurs, que oui, j'étais bien, corps et âme, ce que j'avais décidé d'être - tentant ainsi de faire avaler aux autres les mêmes couleuvres que celle que je commençais à peine à digérer -, sans l'ombre d'un doute.

Anecdote amusante, au passage. Quelque dix ans plus tard, me voilà mandaté par je ne sais plus trop qui pour répertorier, lister et critiquer tout un tas de débits de boisson dits "branchés", sis en la capitale. Perspective enivrante, passionnante, à condition de n'avoir absolument rien compris à tout ce que je viens d'expliquer plus haut. Car oui, il en est des établissements de limonade comme de n'importe quoi : les termes génériques, le plus souvent, ne correspondent à rien. Du coup, dans ce cas précis, on se sent poussé (aux ailes) par une lancinante question, dont la réponse est bien plus complexe qu'il n'y paraîtrait à première vue :

Qu'est-ce qu'un bar branché ?

Un traitement trop rapide de cette question aboutirait sans doute à la conclusion générale suivante, un peu courte mais non dénuée d'une part de vérité : un bar branché, c'est un bar à la mode. Au sens propre, oui, sans doute, sauf que certains - rares, certes - supportent l'épreuve du temps, se muent références incontournables une fois passée la petite succession des diverses strates de publics leur ayant tressé puis offert leur couronne de laurier : dans l'ordre, les dénicheurs underground, puis les purs snobs, les copycats bas de gamme, les suiveurs sans imagination et, enfin, deux mois ou deux ans plus tard, ceux qui y vont parce qu'ils ont lu dans leur journal que c'était à la pointe. Si ledit troquet parvient à survivre à ces différentes hordes, en s'adaptant à chaque fois à son nouveau public, il peut finir par gagner ses galons sur le long terme - chaque groupe passant bien évidemment son temps à vider les lieux, méprisant pour ce que c'est devenu, à l'arrivée du troupeau suivant.

A ce titre, bien sûr, difficile d'espérer trouver de la diversité, du mélange, du hasard et de l'inattendu en de tels bastringues. Constat confirmé il y a quelques semaines par le propos proprement délirant, révoltant, de ce couillon de serveur d'un établissement vraiment symptomatique de ce mal capital (en lequel je m'étais fourvoyé à mon corps défendant, bien entendu) qui, alors que je m'étais levé pour payer ma note au bar parce que j'avais à l'instant un peu autre chose à foutre que d'attendre vingt minutes qu'un gommeux désagréable daigne s'approcher de ma table : "Euh... franchement, vous en connaissez beaucoup, vous, des maisons - le terme est graissé par mes soins - où les clients paient au bar ?" Euh... Ben oui, mon gars, à peu près tous les troquets, en fait. Toi, bonhomme, tu n'as vraiment rien compris à ton métier, pas vrai ? Ou alors, pire encore, tu t'es conformé comme un dingue aux codes qui président à ta famille de rades (les "maisons", donc). Du coup, franchement, je ne suis pas sûr que, quels que soient nos CV respectifs,  nous ayons jamais pratiqué le même boulot - ni de près, ni de loin.

Voilà donc un idéal-type de bar branché - un lieu, donc, qui selon moi, n'a de bar que le nom, de branché que le vent en poupe -, qui contredit par son existence même l'ensemble des conditions sine qua non du rade où il fait bon vivre. Ici, au contraire, pour le dire vite :
1. La clientèle se masse selon un principe de pure homogamie : on se retrouve entre clones, pour lever des sosies ou échanger des propos passionnants avec d'autres-nous-mêmes. Les lois de la relativité n'ayant pas vraiment de domaine d'exclusion, on niera bien fort ce constat si on en est client, en arguant par exemple que : "pas du tout, regarde, ce type est un journaliste de droite, et moins un intermittent du spectacle de gauche." Ah oui, d'accord.
2. Les serveurs y sont aussi hautains, prétentieux, exigeants-pour-la-pure-forme que leurs clients (des Doppelgänger, donc, dont j'aurai l'occasion de recauser.)
3. Si les fringues, les coupes, les accessoires portés par les êtres humains qui l'occupent répondent à une série d'exigences bien définies (déguisé-en-homo par exemple, ou en-secrétaire-coquine depuis quelques années), il en va de même, peu ou prou, pour la déco (disons, pour la saison 2012, papier peint "comme à la maison", meubles "chinés" pour le prix d'un bras, etc.) comme pour le concept (disons, cette fois pour la période 2011-..., dans un ancien club libertin, ou sans enseigne visible depuis la rue.)

Cela dit, tout est-il à jeter dans ces rades-ci, pour lesquels d'ailleurs, on l'aura compris, le terme "rade" ne convient pas vraiment ? Rien de moins sûr, même si mon premier réflexe, naturel, serait de les vouer tous aux gémonies, c'est-à-dire en l'occurrence à l'accélération de ma foulée à leur approche. La chose est encore un peu plus compliquée. Mais ce "post" est également déjà beaucoup trop long. On reviendra là-dessus, c'est promis.

4 commentaires:

  1. une nouvelle forme d'anthropologie culturelle sous de tristes tropiques ?

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  2. Sans doute, sans doute (dites, si vous voulez, je vous réserve la place à côté de la machine à cahouètes. Sans déconner, ça me fait plaisir. Faites juste gaffe, vous serez debout sur la trappe qui mène à la cave, et que je me dois bien d'ouvrir tous les matins à 6h30.)

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  3. désolée de troubler votre breuvage.
    Bonne chance dans votre aventure éditoriale!

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  4. Bonjour, euh... mademoiselle Pointillés. Il ne faut surtout pas vous excuser de venir troubler quoi que ce soit, vous savez. Vous pourrez même rester boire un verre, la prochaine fois.

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